VIDEO. "Cash Investigation". Cédric O, ancien secrétaire d'Etat au Numérique devenu lobbyiste à Bruxelles

Artisan de la "start-up nation", ancien membre du gouvernement, Cédric O est devenu lobbyiste pour Mistral AI, fleuron français de l'intelligence artificielle générative. A ce titre, il aurait pesé de tout son poids pour tenter d'infléchir la réglementation européenne dans ce secteur... Extrait de "Politique et business : les liaisons dangereuses", à voir dans "Cash Investigation" le 24 juin 2025, sur France 2.
Cédric O n’est pas le plus connu des ministres d’Emmanuel Macron, mais il a été l’un de ses tout premiers collaborateurs. Trésorier de sa campagne en 2017, il est devenu son conseiller à l’Élysée pendant deux ans et, enfin, secrétaire d’État au numérique entre 2019 et 2022.
Il est l’un des artisans de la "start-up nation", et il est aussi à l’origine d’un plan qui prévoit de faire de la France le leader européen en matière d’intelligence artificielle. Pour mettre ce plan en œuvre, l’État a déboursé 3 milliards d’euros. Cédric O a quitté le gouvernement en 2022 et, en avril 2023, il a cofondé Mistral AI, une start-up d’intelligence artificielle, justement, qui développe un "ChatGPT à la française". Un an plus tard, la société était valorisée près de 6 milliards d’euros.
Cédric O a joué un rôle primordial à Bruxelles durant la période des négociations de l’IA Act, la loi européenne qui encadre l’intelligence artificielle, le premier règlement de ce type dans le monde. Alors que la version originelle de l’IA Act, adoptée en 2023 à une écrasante majorité par les députés européens, était extrêmement protectrice envers les citoyens, Cédric O s’est exprimé dans la presse pour la dénoncer. Mais il est aussi passé à l’action.
Ainsi, il s’est enregistré comme lobbyiste auprès de l’Union européenne pour représenter les intérêts de Mistral, ce qui est légal. Et il a pesé de tout son poids pour tenter d’infléchir l’IA Act. En consultant le registre de transparence de l'UE, "Cash Investigation" a découvert de multiples rencontres de Cédric O à Bruxelles : une avec la Commission européenne, trois autres avec des députés européens qui participent aux négociations. Parmi eux, Brando Benifei, le rapporteur de la loi.
Elise Menand, journaliste à "Cash Investigation", a interrogé ce dernier. Brando Benifei se souvient bien de son entretien avec le cofondateur de Mistral AI : "J’ai rencontré Cédric O tout comme j’ai rencontré beaucoup d’autres fondateurs ou dirigeants de petites, moyennes et grandes entreprises. Il m’a dit qu’il ne fallait pas que nous ayons des règles strictes. Il insistait vraiment, il était plein de conviction… mais il ne m’a pas convaincu."
Selon le rapporteur de l’IA Act, Cédric O n’est pas un lobbyiste comme les autres. Les travaux sur cette réglementation européenne ont commencé en 2021, avant la naissance de Mistral AI, alors qu'il était secrétaire d’État au Numérique en France. Et c’est avec cette casquette qu’il a mené des réunions sur l’IA Act.
N'est-il pas gênant que, sur une même réglementation, on puisse être d’abord du côté du régulateur, et ensuite du côté de l’entreprise qui va être régulée ? "Je pense que ce n’est pas une bonne pratique. Ce mélange des genres, le fait d'être d’abord dans le public puis dans le privé, ça a probablement créé de la confusion avec ses interlocuteurs. Et je pense qu’il n’était pas très content de la réunion que nous avons eue…", conclut Brando Benifei.
Dans sa version finale, l’IA Act a été modifié, un compromis a été trouvé. Et Arthur Mensch, cofondateur et PDG de Mistral AI, s’en est félicité dans un article du Monde : "Dans sa forme finale, l’AI Act est tout à fait gérable pour nous", a-t-il déclaré...
Un ancien secrétaire d’État en charge du Numérique a-t-il le droit de devenir, une fois sorti du gouvernement, lobbyiste pour une entreprise du numérique ? Pour encadrer les reconversions des anciens hauts fonctionnaires et ministres, il existe un "gendarme", la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique). Elle a refusé d'accorder une interview au magazine, mais interrogée par écrit, elle a répondu que l’avis émis au sujet de Cédric O "n’interdit pas les actions de représentation d’intérêts au niveau européen".
"Cash Investigation" a proposé à plusieurs reprises une interview à Cédric O, qui ne l’a pas acceptée. Mais il a répondu à l’émission : "Je respecte strictement les obligations fixées par la HATVP."
Extrait de "Politique et business : les liaisons dangereuses", à voir dans "Cash Investigation" le 24 juin 2025, sur France 2.
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